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Le bréviaire de Fairing
28 avril 2015

Manger son Dieu et devenir végétarien

 

 « Voilà ! Voilà l'intolérance de ces fanatiques ! Est-ce que je l'empêche, moi, d'aller manger son Dieu tous les dimanches ? Est-ce que je te défends de fréquenter ta sœur parce qu'elle est mariée à un homme qui croit que le Créateur de l'Univers descend en personne, tous les dimanches, dans cent mille gobelets ? » La Gloire de mon Père, Pagnol

 

« Aucun être vivant ne mérite d’être en cage » Judas dans « Histoire de Judas » de Rabah Ameur-Zaïmeche

 

Histoire de Judas - Cage - Ameer-Zaimeche
Histoire de Judas, un film de R. Ameur-Zaimeche

Dans son dernier film, « Histoire de Judas »[1], Rabah Ameur-Zaïmeche présente un Jésus soucieux de la protection animale : lors de l’éviction des marchands du temple, l’une de ses motivations principales est de libérer les pigeons, les poules et autres cochons de leurs cages. C’est une vieille idée que l’on retrouve développée chez plusieurs auteurs[2] et reprise par de nombreux sites. Certains vont jusqu’à soutenir que le Christ était végétarien. Malheureusement, dans les démonstrations, les textes sont souvent cités partiellement, et les éléments contredisant la thèse des auteurs sont souvent escamotés. Rassemblons calmement les pièces de ce dossier.

Dans le décalogue, seul texte de la Bible dont il est explicitement affirmé qu’il est écrit « du doigt de Dieu »[3] lui-même, l’interdiction de tuer est énoncée de manière absolue : « Tu ne tueras point ». Exclure les animaux du champ d’application de cette loi, comme le fait Moïse ou d’autres figures de la Bible, paraît par conséquent relever d’une interprétation subjective. Plusieurs passages du Nouveau Testament témoignent d’un refus des sacrifices. Les Evangiles comprennent seulement deux épisodes susceptibles de mettre en doute le végétarisme de Jésus et à chaque fois il s’agit de poissons.

Le premier épisode concerne le miracle la multiplication des pains. Notons qu’il s’agit d’une situation extrême : Jésus doit nourrir une foule affamée dans un désert. Le voici raconté dans l’Evangile selon Matthieu (14,17-21) – c'est moi qui souligne :

14.17 Mais ils lui dirent: Nous n'avons ici que cinq pains et deux poissons.

14.18 Et il dit: Apportez-les-moi.

14.19 Il fit asseoir la foule sur l'herbe, prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux vers le ciel, il rendit grâces. Puis, il rompit les pains et les donna aux disciples, qui les distribuèrent à la foule.

14.20 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l'on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient.

 

On peut remarquer que les poissons évoqués au début de cette narration finissent par disparaitre dans les dernières phrases. Pour certains, cette bizarrerie serait l’indice d’ajouts tardifs.

De même, un passage ultérieur ne mentionne pas non plus les deux poissons :

16.9 Etes-vous encore sans intelligence, et ne vous rappelez-vous plus les cinq pains des cinq mille hommes et combien de paniers vous avez emportés,

16.10 ni les sept pains des quatre mille hommes et combien de corbeilles vous avez emportées?

 

Le même évènement est rapporté par Marc de la manière suivante :

6.38 Et il leur dit: Combien avez-vous de pains? Allez voir. Ils s'en assurèrent, et répondirent: Cinq, et deux poissons.

6.39 Alors il leur commanda de les faire tous asseoir par groupes sur l'herbe verte,

6.40 et ils s'assirent par rangées de cent et de cinquante.

6.41 Il prit les cinq pains et les deux poissons et, levant les yeux vers le ciel, il rendit grâces. Puis, il rompit les pains, et les donna aux disciples, afin qu'ils les distribuassent à la foule. Il partagea aussi les deux poissons entre tous.

6.42 Tous mangèrent et furent rassasiés,

6.43 et l'on emporta douze paniers pleins de morceaux de pain et de ce qui restait des poissons.

 

Ici la narration est cohérente jusqu’au bout et intègre parfaitement nos poissons. Avez-vous cependant noté que la question de Jésus (première phrase) porte uniquement sur les pains ? Il est également vrai et troublant que quelques versets plus loin, lorsque Jésus rappelle à ses disciples ce qu’il s’est passé, les poissons se volatilisent à nouveau :

8.19 Quand j'ai rompu les cinq pains pour les cinq mille hommes, combien de paniers pleins de morceaux avez-vous emportés? Douze, lui répondirent-ils.

8.20 Et quand j'ai rompu les sept pains pour les quatre mille hommes, combien de corbeilles pleines de morceaux avez-vous emportées? Sept, répondirent-ils.


Distraction d’un interpolateur ? Etourderie de l’auteur ? Difficile de trancher.

Voyons du côté de Jean comment est présenté le miracle :

6.8 Un de ses disciples, André, frère de Simon Pierre, lui dit:

6.9 Il y a ici un jeune garçon qui a cinq pains d'orge et deux poissons; mais qu'est-ce que cela pour tant de gens?

6.10 Jésus dit: Faites-les asseoir. Il y avait dans ce lieu beaucoup d'herbe. Ils s'assirent donc, au nombre d'environ cinq mille hommes.

6.11 Jésus prit les pains, rendit grâces, et les distribua à ceux qui étaient assis; il leur donna de même des poissons, autant qu'ils en voulurent.

6.12 Lorsqu'ils furent rassasiés, il dit à ses disciples: Ramassez les morceaux qui restent, afin que rien ne se perde.  

6.13 Ils les ramassèrent donc, et ils remplirent douze paniers avec les morceaux qui restèrent des cinq pains d'orge, après que tous eurent mangé.


Là encore, le texte est assez cohérent. Dans les deux derniers versets, on peut noter qu’il n’est plus question de poissons, mais cela peut s’expliquer par le fait que tous ont été consommés. Voyons le passage suivant du même évangile :

6.26 Jésus leur répondit: En vérité, en vérité, je vous le dis, vous me cherchez, non parce que vous avez vu des miracles, mais parce que vous avez mangé des pains et que vous avez été rassasiés.

On retrouve le même problème que pour l’Evangile de Marc, à savoir l’absence des poissons dans l’extrait de contrôle. Il faut se garder néanmoins de conclure, car l’effet d’accumulation pourrait provenir de la copie entre les évangiles.

Cependant, l’Evangile de Luc pose une nouvelle difficulté :

9.13 Jésus leur dit: Donnez-leur vous-mêmes à manger. Mais ils répondirent: Nous n'avons que cinq pains et deux poissons, à moins que nous n'allions nous-mêmes acheter des vivres pour tout ce peuple.

9.14 Or, il y avait environ cinq mille hommes. Jésus dit à ses disciples: Faites-les asseoir par rangées de cinquante.

9.15 Ils firent ainsi, ils les firent tous asseoir.

9.16 Jésus prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux vers le ciel, il les bénit. Puis, il les rompit, et les donna aux disciples, afin qu'ils les distribuassent à la foule.

9.17 Tous mangèrent et furent rassasiés, et l'on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient.

 

Ici, les deux poissons sont bien pris en compte avec les pains, mais observons le bout de phrase suivante, qui s’applique à la fois aux deux sortes d’aliments: « Puis, il les rompit ». L’utilisation de ce verbe pour les poissons est problématique et jette un doute sur l’inaltération des textes.

 

Le deuxième épisode est beaucoup plus gênant à mon avis pour Jésus, car après tout, jusqu’à présent, il n’est pas indiqué que Jésus ait lui-même mangé des poissons. Or, à la fin de l’Evangile de Luc, on peut lire le passage suivant :

24.42 Ils lui présentèrent du poisson rôti et un rayon de miel.

24.43 Il en prit, et il mangea devant eux.

Il s’agit du seul extrait dans les Evangiles susceptible de remettre en cause le végétarisme de Jésus. Il a lieu après sa mort, une fois ressuscité. La mention du miel n'est pas dans toutes les versions. Mais cette variante nous permet de sauver l'hypothèse végétarienne, en rendant le verset suivant plus ambigu : il devient en effet possible de supposer que Jésus n'a pris que le second des aliments proposés.

Il faut peut-être, de manière plus significative, voir dans le sacrement de l’Eucharistie, et plus particulièrement ses éléments que sont le pain et le vin, l’injonction, ésotérique, de ne plus consommer de chair. Il y aurait eu donc malentendu : Jésus n'aurait pas légué un rituel de plus à pratiquer lors de cérémonies particulières, comme la nouvelle religion du Christianisme, issue de son enseignement, l'interpréta, mais il s'agissait bel et bien de recommander un régime alimentaire, céréales et fruits, enfin dépourvu de toute mise à mort. La cène aurait dû se transformer en repas quotidien. Cette nouvelle hypothèse d’un message, non pas caché mais brouillé par ses successeurs, ferait résonner un peu différemment les paroles du Christ que répète la liturgie : « vous ferez cela en mémoire de moi ». Jésus deviendrait alors le dernier sacrifié, sang et corps, que les hommes ingurgiteraient symboliquement pour éviter tous les autres sacrifices d’êtres vivants.

 



[1] Sorti le 8 avril dernier

[2] Par exemple dans The Lost Religion of Jesus, par Keith Akers

[3] Exode 31,18

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