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Le bréviaire de Fairing
10 janvier 2016

Une autre paysannerie est possible

Moillon,_Louise_-_The_Fruit_and_Vegetable_Costermonger_-_1631Louise Moillon - La Marchande de fruits et légumes (1630), musée du Louvre.

Silvia Pérez-Vitoria était l’invitée toute la semaine de l’émission « Un autre jour est possible » animée par Tewfic Hakem, le matin sur France Culture. Troisième et dernière partie de mes notes.

 

Besoin d’une volonté politique

Malgré la mode de l’agriculture urbaine, les villes ne nourriront pas les villes. Il est aberrant de voir des zones commerciales autour des villes au lieu de trouver des ceintures vivrières. Ces dernières permettraient de donner du travail à beaucoup de gens et de nourrir les villes, tout en réglant de nombreux problèmes environnementaux dans lesquels nous sommes englués. S’il est vrai que ce discours commence à être entendu, peu de mesures concrètes ne voient le jour dans notre cadre de libéralisation exacerbée. Dernier exemple en date : le TAFTA qui s’oriente au rebours de ce qu’il faut faire, avec une ouverture plus grande au marché internationale et des aliments qui arrivent de n’importe où et de n’importe quelle qualité. Si cet accord était signé, il ne sera plus possible de produire localement. Ce sont par conséquent des choix majeurs.

En revenant sur le modèle centralisé, c’est-à-dire en produisant localement, on ouvre des possibilités de retrouver les emplois perdus dans la période précédente, que ce soit dans la production, la transformation ou la conserverie. Sortir de l’agriculture industrielle permettrait de redonner du travail à des millions de personnes.  Au Brésil, par exemple, le mouvement des sans-terre fait vivre 350 000 familles sur 8 millions d’hectares alors qu’elles étaient prédestinées à se retrouver dans des bidonvilles.

 

Produire local, une solution à de nombreux problèmes

Certains plaident que le commerce permet de meilleures relations, mais il faut se libérer de la confusion entre libéralisation des marchandises et libéralisation des échanges culturels et autres entre pays et individus. Il est dangereux de confier notre alimentation à des circuits que nous ne contrôlons pas : or, plus on est proche des aliments que l’on mange, plus l’on peut savoir ce qu’on mange. La traçabilité est gage de qualité. De plus, le transport induit des problématiques qui influent sur la qualité : ainsi des tomates qui traversent la mer vont avoir certaines caractéristiques, telle qu’une certaine dureté, qui les rendent aptes et résistantes aux voyages, au détriment de leurs valeurs nutritives et gustatives. Ces contraintes d’éloignement des lieux de production ont aussi un lien très étroit avec le gaspillage alimentaire et reposent la question de la souveraineté alimentaire. Sur ce plan-là, la France est un cas d’école, car bien que son climat, sa diversité et sa richesse lui permettent potentiellement de produire tout ce dont elle a besoin, on estime qu’en cas de guerre mondiale, nous ne serions plus capables de nous alimenter.

 

Une internationale paysanne en marche ?

Au centre de toutes les préoccupations politiques et des constructions sociales devrait se trouver le maintien de la paysannerie, car c’est aussi garantir le maintien de cultures et de perceptions du monde différente. Or, aucun Etat au monde n’y donne priorité, la plupart préférant, selon une idéologie du développement et de la compétitivité, un modèle extractiviste, exploitant les terres pour leurs minerais au détriment des forêts, des terres agricoles et des populations.  Il faut mettre fin à ces mécanismes, pourquoi pas par une révolution paysanne, qui, d’après Silvia Pérez-Vitoria, est peut-être en cours : en effet, on assiste actuellement à un mouvement paysan de grande ampleur, qui est le principal mouvement social à l’échelle mondiale, avec des marches, des caravanes et des conquêtes importantes. Et ce qui est intéressant, c’est que ces mobilisations internationales regroupent aussi des citadins conscients des enjeux.

 

Le moment où jamais

Le système dans lequel nous sommes a atteint ses limites. Il va y avoir des choix de société : l’industrie ne peut se passer de minerais, or continuer dans cette voie, c’est condamner à terme les terres agricoles. Bref, Smartphone ou bon pain, on ne pourra pas avoir tout le temps à la fois des Smartphones et du bon pain. Parce que la terre est limitée, et l’on sait que si l’on veut nourrir la population, si l’on veut survivre, il va falloir reconsidérer notre système d’alimentation. L’industrie détruit et pollue les forêts et les terres agricoles de manière durable, et l’on risque d’atteindre des points d’irréversibilité. C’est désormais une question de survie, d’autant plus que les paysans sont les travailleurs de la terre, ceux qui ont su et savent comment maintenir à long terme la richesse que nous avons et dont on a besoin.

Parmi les moyens les plus importants à mettre en place, il y a ces veilles sur les terres agricoles, comme elles sont pratiquées dans le Sud-Est de la France. L’inquiétude dans le public sur la qualité de l’alimentation est aussi un levier important pour faire changer les choses. On peut s’attendre à ce que le niveau de prise de conscience qu’on trouve chez les paysans aujourd’hui, s’élargisse peu à peu à la population en général, malgré le pouvoir considérable des lobbys agroalimentaires. L’enjeu est vraiment le suivant : quel genre de société nous voulons, et comment nous voulons vivre ? Ça permet d’imaginer d’autres types d’emplois, d’autres formes d’occupation du territoire, d’autres paysages, d’autres rapports villes/campagnes, de se concentrer sur la qualité des produits et d’éviter les impacts sur le changement climatique, lorsque l’on sait que l’agriculture industrielle est responsable de 25% des émissions de gaz à effet de serre.

 

Jouer la base contre le sommet

De nombreuses luttes ont été gagnées : en Inde, par exemple, des marches très importantes ont permis à des gens d’avoir accès à la terre. On peut également citer le Brésil qui a réussi à maintenir des modes de vie autour de l’agriculture sur le long terme par la dissidence territoriale. En France, la lutte est beaucoup plus fragmentée, mais on sent, au niveau de la base, une volonté de mise en réseau et des efforts sont menés pour construire le territoire différemment. A vrai dire il ne s’agit pas de convaincre le ministère de l’Agriculture, car c’est une impasse. Il ne faut rien attendre des décideurs institutionnels, les hommes politiques, les élus, les lobbyistes. De ce côté-là, les projets, pourtant très timides, sont toujours dévoyés par les mêmes objectifs de compétitivité et de parts de marché, malgré toutes les apparences vertes qu’on leur donne. Il faut donc plutôt travailler à la base, convaincre les gens, faire prendre conscience, plutôt que de travailler au sommet, pour aboutir à une révolution des mentalités et, surtout, une révolution du faire. A ce titre, il existe toute une série d’initiatives un peu partout en France, de tout genre, qui sont souvent souterraines mais qui travaillent durablement notre société.

 

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