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Le bréviaire de Fairing
8 janvier 2016

La paysannerie pour un avenir meilleur

Silvia Pérez-Vitoria était l’invitée toute la semaine de l’émission « Un autre jour est possible » animée par Tewfic Hakem, le matin sur France Culture, pour présenter son « Manifeste pour un XXIème siècle paysan ».

julien_dupre_b1430_le_repas_des_moissonneurs_wmLe repas des moissonneurs - Julien dupré

Du paysan à l’exploitant agricole

Ce qu’a traduit au XXème siècle la transformation des paysans en agriculteurs, puis en exploitants agricoles, c’est le passage d’une forme d’autonomie à une dépendance économique, d’une fonction nourricière à destination de populations locales, à une fonction marchande à un niveau international. Les agriculteurs sont désormais obligés d’importer des engrais, d’acheter des machines, de s’endetter, de faire appel à des experts au lieu de compter sur leur propre savoir. Cette perte d’autonomie va jusqu’à l’absurde puisque la plupart des gros agriculteurs français, par exemple, ne produisent pas en général leur propre alimentation.

Cette mutation violente, qui s’opère après la seconde guerre mondiale, a conduit à une dénaturation du métier : autrefois proche de la nature, le paysan n’est plus, au bout de ce processus, qu’un chaînon produisant une matière première pour l’industrie. Ce bouleversement s’est appuyé sur une dévalorisation des savoirs et des hommes, péjorativement qualifiés de « ploucs » ou de « gueux ». Certes, si la modernisation et l’industrialisation de l’agriculture ont pu s’imposer, c’est qu’elles avaient des aspects positifs  les aspects positifs immédiatement visibles. Mais, s’il faut évidemment se garder d’idéaliser la situation antérieure, cette évolution s’est accompagnée d’un nombre important d’inconvénients, qui n’ont pas forcément été identifiés comme tels au départ. Ainsi, sont passés inaperçus les coûts environnementaux et sanitaires, la destruction des paysages et de la richesse des terroirs, les compromis sur la qualité, etc… L’ignorance de ce côté négatif, indissociable de ce qui était perçu comme un « progrès », a promu l’idée insensée qu’un pays développé était un pays sans paysan.

 

Des mouvements mobilisateurs face à l’inaction des décideurs

Malgré la reconnaissance tardive de ces désavantages, les Etats n’ont pas pris de mesures à la hauteur des enjeux, et sont restés bloqués au modèle « moderne » de la compétitivité économique, sans se soucier des questions sociales et environnementales. En France, leur regard semble s’arrêter au Salon de l’Agriculture. Pourtant, ont émergé de nouveaux mouvements paysans, organisés et très populaires. Par exemple, le mouvement paysan international « La Via Campesina » (la « voie paysanne » en espagnol) représente plus de 200 millions de personnes, notamment en Amérique latine, en Afrique et en Europe.

A partir des luttes et des propositions de ces groupes, qui, plus que défendre des intérêts corporatistes, interrogent plutôt la place à donner à l’agriculture dans nos sociétés, Silvia Pérez-Vitoria est d’avis qu’un retour à la terre est possible, à condition d’enrayer la destruction des terres agricoles et l’accaparement des territoires ; en effet, l’on voit de plus en plus des étudiants en agronomie ou des jeunes qui refusent le mode de vie citadin, qui veulent devenir paysans, mais qui se heurtent à la difficulté d’accéder aux terres.

 

Une parenthèse malheureuse de 150 ans

Or, il ne faut pas voir ce renouveau de la paysannerie comme un retour en arrière, une simple nostalgie du passé. Il s’agit avant tout de renouer avec quelque chose qui a existé pendant 8 000 ans, et qui nous a apporté une terre fertile et une extrême biodiversité, que l’agriculture industrielle n’a eu de cesse de détruire pendant les 150 dernières années pour un résultat médiocre : ce système n’a pas réussi à nourrir toute la planète. Il faut dès lors voir ces 150 ans comme une parenthèse malheureuse, et remettre en cause cette agriculture industrielle.

Pour permettre ce renouveau en France, il faut d’abord arrêter d’utiliser les pesticides et les engrais chimiques, très polluants. On peut parfaitement s’en passer pour produire de la quantité et de la qualité. Il est aussi important de remettre en question les industries semencières, qui ont capté la richesse de la biodiversité : la FAO estime que, depuis le début du XXème siècle, quelque 75 pour cent de la diversité génétique des plantes cultivées ont été perdus.

 

Retrouver la diversité

En faisant le parallèle entre diversité biologique et diversité culturelle, il est frappant de constater que l’agriculture industrielle homogénéise – pour ne pas dire appauvrit - aussi les formes de pensées, les manières d’être, le rapport à la nature, et au final les relations humaines elles-mêmes. Le renouveau doit aussi s’accompagner d’une évolution des mentalités, et passer par une nouvelle diversification de l’agriculture et des relations qui se nouent autour d’elle. Cette prise de conscience est à l’œuvre, surtout dans certains pays où les paysans sont encore nombreux. Beaucoup d’expériences sont menées, à l’exemple de paysans boulangers qui, en France, ont su récupérer des variétés de blé régionales, faire de la farine avec des meules de pierre, et vendre le pain ainsi produit. Cela démontre une volonté de se réapproprier des savoirs et des savoir-faire pour une plus grande diversité et une meilleure qualité.

 

La question du prix est faussée

Si ce pain est plus cher à la vente, c’est parce que certains coûts ne sont pas pris en compte dans la nourriture bon marché : les effets sur notre santé, la destruction écologique, les emplois perdus, sans parler, pour certains secteurs, des dépenses de subventions attribuées à l’industrie agricole. Pour les fruits et légumes sans saveur qui voyagent d’un bout à l’autre de la planète et qui sont souvent produits dans des conditions sociales épouvantables, il faut ajouter les coûts de transport et les dégâts environnementaux occasionnés.

Mais il est vrai que les mentalités doivent aussi évoluer sur la question du prix. La part de l’alimentation dans le budget, qui, dans les années 60, représentait 20 à 30%, est réduite aujourd’hui à moins de 12%. Or il faut accepter de dépenser davantage pour sa nourriture si l’on veut une meilleure qualité.

 

Pour une souveraineté alimentaire  

On pourrait avoir un marché commun en Europe, mais encore faudrait-il avoir des conditions sociales proches. Il faut avoir une vision globale car le problème de la mondialisation est justement la mise en compétition des paysans du monde entier, qui favorise les pires systèmes de production et la pauvreté des travailleurs.

Pour tout dire, plutôt que des accords mondiaux, il vaut mieux défendre la notion de souveraineté alimentaire, qui est le droit des peuples à pouvoir produire leur alimentation dans les conditions qui sont les leurs, pour garantir la qualité. Mieux vaut en effet une alimentation locale, car le transport joue un rôle important dans le changement climatique.

A suivre…

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