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Le bréviaire de Fairing
13 janvier 2016

Retrouver le geste pur...

Voici un extrait d'une petite conversation tranquille (avec sa transcription) à propos d'aïkido, de tir à l'arc et de cérémonie de thé, extraite de l’émission « Les Racines du Ciel » du 19 avril 2015 intitulée « l'exercice de la Sagesse » dont l’invité était Jacques Castermane :

- Leili Anvar : « C'est une tension très forte de tout le corps, mais si on ne maîtrise pas cette tension, si on ne sait pas justement transformer la tension en détente, alors on est arrêté dans son geste et on ne peut pas continuer. Est-ce que c'est ça, le secret du bon tireur à l'arc, c'est d'être à la fois dans une tension et dans une détente complète ? »

- Jacques Castermane : « On pourrait même parler d'un rapport juste entre tension et détente qui est un geste de la vie, qui est une action de la vie comme notre respiration, qui se réalise dans un geste de tension, l'inspire, et de détente l'expire, et c'est arriver à se confier à cette force du fonds, à cette force de l'être qui nécessite (heureusement sans devoir couper l'échelle avec un sabre, j'ai eu beaucoup de chance) c'est se libérer de cette force construite, finalement, mais qui est bien plus faible par rapport à cette force qu'on est. »

« Si vous avez déjà présenté votre index à la main d'un bébé, et le bébé a ce que le médecin appelle un "grasping reflex", ce qui est bien triste pour traduire la force incroyable que vous ressentez quand cette petite main vous saisit. Il n'y a pas encore d'égo chez ce bébé, il n'y a pas encore de distinction moi et son doigt, il n'y a pas encore de désir "je vais lui serrer la pince", pas du tout, il y a une rencontre entre deux êtres à travers la main et le doigt, et cette force est incroyable et je comprends alors ce maître de tir à l'arc qui me dit : "Je ne fais que maîtriser les gestes qui étaient miens dans la toute petite enfance". Donc c'est ça le secret, il n'y a pas d'autres secrets que celui-là. »

- Frédéric Lenoir : « Moi en vous écoutant, je parlais du tir à l'arc, je pensais aussi, je me disais au fond ce qui compte c'est une forme de qualité de présence et d'attention à chaque geste, à chaque mouvement, alors que bien souvent on fait des gestes et des mouvements en étant dans une mentalisation ou une pensée. Est-ce que ce n'est pas tout simplement le secret de ce que vous enseignez aussi,  c'est une qualité de présence à ce qu'on est ? »

- Jacques Castermane : « Ce n'est rien d'autre que ça. C'est passer d'une manière d'être à une autre manière d'être. Et là j'ai une anecdote. Au Japon, au cours d'un seichin de tir à l'arc, on tire 7 - 8 heures par jour, et j'avais déjà une certaine pratique, et chaque fois que j'étais dans cette position de la plus grande tension, mais pas crispation, tension, tout à coup, je sens que quelqu'un me pousse un tout petit peu dans le dos, et je perds l'équilibre, et la flèche dans ce cas-là elle tombe sur vos chaussures ou elle part vers le ciel. Je me retourne et c'était le maître Sagino, qui part d'un grand éclat de rire. Il a renouvelé cette histoire pendant quasiment toute la journée et il m'a dit... après je lui ai demandé « pourquoi vous faîtes ça ? Parce que tu n'es pas dans ce qu'on appelle le haha. - Mais qu'est-ce que vous voulez dire ? - Quand tu tires, tu es déjà dans la cible qui est là-bas tout à l'heure. » Je n'ai jamais oublié cette phrase. « Tu n'es pas dans le haha, tu n'es pas dans l'action au moment présent. Tu es déjà plus loin, et donc tu n'as pas d'équilibre. »

Je dis : « mais comment ça se fait ? - C'est parce que tu tires animé par le désir de réussir à tout prix, ce qui nécessairement s'accompagne de la crainte d'échouer. » Et la flèche ne peut pas faire ce pour quoi elle est faite : percer le centre de la cible. Donc c'est se libérer du désir de réussir à tout prix, c'est se libérer de la crainte d'échouer, c'est se libérer de l'identification à l'égo. Et ça c'est cette autre manière d'être dont vous parlez très justement. »

- Leili Anvar : « Alors ça, c'est pour le tir à l'arc qui est un peu plus connu on va dire en Occident. En quoi est-ce que ça s'applique aussi à la cérémonie du thé qui est peut-être une chose beaucoup plus mystérieuse pour nous ? »

- Jacques Castermane : « C'est encore Dürckheim qui m'a offert la clé de compréhension. Comment rassembler, réunir toutes ces disciplines aussi différentes que le thé, l'arc ou l'aïkido ? C'est la définition que Dürckheim donne du corps vivant, "le corps est l'ensemble des gestes à travers lesquels l'homme se présente, se réalise, ou se manque". "Le corps est l'ensemble des gestes". Les gestes, ce sont ceux qui sont les nôtres juste après la fécondation. Ces gestes, ce sont ceux du disque embryonnaire qui devient l'embryon, qui devient le fœtus, qui devient le nouveau-né, et ces gestes, ce sont aussi toutes les actions qu'on va engager une fois qu'on fait réflexion sur soi-même en disant moi. Et donc toutes ces disciplines vous engagent dans un travail gestuel, une gestuelle, Le tir à l'arc c'est une séquence de 8 gestes, c'est une danse de 8 gestes. La cérémonie du thé la plus simple, c'est une séquence de 60 gestes, c'est une danse de 60 gestes. Et tout le travail consiste à purifier le geste de tout ce qui le sépare de son côté tout à fait naturel, donc de notre propre essence. »

« C'est un constant travail de purification, mais je crois qu'un pianiste, un violoniste ou une danseuse qui nous écouterait, pourrait dire "ben oui c'est ça". C'est aussi toute la vie du concertiste que de libérer les gestes de ses doigts. Au début il a bien besoin de sa conscience ordinaire, de sa volonté, de sa mémoire pour interpréter une sonate de Scarlatti. Mais le jour où, sortant de scène, il vous dit : « je ne sais pas ce qui s'est passé mais ce soir ce n'est pas moi qui ai joué », c'est ça le moment précieux, c'est ça qui pousse les artistes à aller plus loin, les artisans aussi, et c'est ça, la cérémonie du thé, le tir à l'arc, et la pratique méditative c'est retrouver le geste pur. Mais le geste dans le sens où tout geste est une intention de l'être. »

- Leili Anvar : « Oui c'est ça justement qui me trouble un peu, quand vous dites le geste pur ou le geste naturel. De l'extérieur, cela ne fait pas du tout naturel. En particulier une cérémonie de thé c'est extrêmement codifié, ça peut paraitre une vraie recréation, je dirais, c'est très raffiné, Jamais dans la nature ... »

- Frédéric Lenoir : « C'est très culturel »

- Leili Anvar : « Jamais dans la nature... ou un enfant n'a pas des gestes aussi maîtrisés, c'est d'une très haute technicité. Alors, comment cette haute technicité nous relie à quelque chose de plus primordial. »

- Jacques Castermane : « Parce que le geste pur a deux sources, c'est le geste inné, et l'autre source c'est le geste parfaitement maîtrisé et arriver à la maîtrise parfaite d'un geste, d'une action comme le tir à l'arc ou la cérémonie du thé est le moment de cette bascule où vous retrouvez l'inné  que vous êtes. Et c'est ça l'expérience de l'être, c'est ça l'expérience de la libération, donc il n'y a pas de contradiction. On profite de l'égo qui entrave le geste inné pour le retrouver à l'occasion d'une maîtrise parfaite d'une action culturelle ou même cultuelle. Et ça il faut le vivre pour le comprendre. »

- Leili Anvar : « Est-ce que ce n'est pas finalement le propre de tout rituel ? Est-ce que ce n'est pas pour ça que les hommes, sur toutes les parties de la terre, ont des rituels ? Et que le rituel doit suivre un ordre très particulier, et vraiment obéir à une séquentialité très spécifique. »

- Jacques Castermane : Vous avez tout à fait raison et ça me touche beaucoup parce que c'est vrai et ce qui caractérise cette tradition qu'on appelle le zen, et qui ne m'intéresse que dans ce qu'elle a d'universellement humain, c'est que tout a été ritualisé. Nous avons un maître zen qui a été le maître des novices pendant trente ans au Japon dans le grand temple de formation des moines près de Tokyo, le temple fondé par Dögen au douzième siècle et ce qui touche les personnes qui viennent participer à ces stages, donc à ces retraites de méditation, c'est que tout est rituel pour cet homme, sa manière d'ouvrir la porte, sa manière de fermer la porte, sa manière d'être devant la grande baie vitrée, qui dans le dojo s'ouvre sur la nature, les quelques pas qu'il fait pour monter un escalier, c'est d'une beauté, on a l'impression d'avoir une danseuse étoile de 80 ans parce qu'on a le même âge avec nous. »

« Et c'est ce qui nous manque aujourd'hui. Tout est banal, respirer mais c'est banal, monsieur ! 7 milliards et demi d'individus respirent ; ouvrir une porte, mais enfin c'est banal, je ne vais quand même pas prêter attention à cette activité-là ! Et c'est au contraire au moment où on ritualise, c'est-à-dire où on se permet de pratiquer l'exercice de la pleine attention à l'acte de marcher, à l'action d'ouvrir une porte, ou de conduire sa voiture. C'est là qu'on retrouve son être profond et ce faisant on retrouve la paix intérieure ou la sérénité. »

Jack14

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