Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le bréviaire de Fairing
23 novembre 2015

The Lobster, ou le Banquet de Platon revisité

Le dernier film du Grec Yorgos Lanthimos, The Lobster, expérimente une redéfinition de ce qu’est un individu. La société dans laquelle vit David, le protagoniste principal, refuse le célibat : une personne n’a le droit de vivre qu’à la condition d’être en couple. C’est le postulat de départ. On peut donc dire que l’unité individuelle (et, partant, citoyenne et politique- soit deux êtres, un vote) est élargie à deux entités. L’élément humain, homme ou femme, est réputé incomplet, et doit absolument trouver son âme sœur sous peine d’être transformé en animal. L’alliance, le mariage deviennent une quête nécessaire, un prérequis à l’accession au rang d’être à part entière. Et pas n’importe quelle union… Pour que le duo fonctionne, il faut que la paire trouve son affect commun, comme dirait Spinoza. Dans le film, le recours au mensonge est terriblement réprimé, d’où les efforts désespérés des célibataires pour dénicher à tout prix l’aspect de leur personnalité, défaut ou qualité, qui pourrait correspondre à un autre solitaire. La recherche du double est une question vitale. L’enjeu est si important que la mutilation ou l’effacement de soi sont des expédients tentants pour la plupart de ceux qui ont la malchance d’être dans cette situation.

 

landscape-1431702953-the-lobster-teaser-poster-slice

The Lobster  - Colin Farrel

 

Je ne sais pas si le réalisateur a eu en tête cette référence philosophique, mais son film évoque pour moi le mythe de l’androgyne chez Platon. Il s’agit d’un extrait du Banquet, où Aristophane expose la nature originelle de l’homme. On peut en trouver le texte ici par exemple. En voici cependant une illustration dans une animation remarquable et plutôt fidèle (seul le passage où il est question d’une reproduction similaire à celle des cigales me parait être une mauvaise interprétation : il me semble que Platon évoque tout simplement un rapport sexuel allongé, avec des partenaires dos à dos) :

Platon: Le mythe de l'androgyne (El Banquete, XIV, XV)

Pour l’Aristophane du Banquet, l’état du couple est par conséquent un idéal à retrouver, un paradis perdu, quand le réalisateur nous montre cet attelage sous son jour le plus défavorable, le plus cynique, une sorte de créature infernale, de monstre d’égoïsme, de mécanisme fou.

Le film a été très critiqué dans nombre de ses aspects, notamment sur la deuxième partie, parfois injustement car mal comprise à mon avis. Il n’est par exemple pas étonnant dans ce cadre que la bande de célibataires rebelles peuplant la forêt interdisent toute relation entre les personnes. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils peuvent espérer survivre en tant que groupe. Toute association serait immédiatement récupérée par le système. Il s’agit logiquement d’une lutte idéologique contre une dystopie terrifiante. Et il est donc relativement malin de la part du scénario de réintroduire la contrainte de l’amour au sein même de ces révolutionnaires. Car Lanthamos, rejoignant certains thèmes des pièces « les Justes » de Camus ou « Les mains sales » de Sartre, comme la perte d’innocence dans le combat, ébauche, dans une forme de mouvement dialectique, la promesse (l’illusion ?) d’une troisième voie, celle de l’amour véritable et de l’harmonie des âmes. Un film à voir donc, même si l’on peut regretter ci et là quelques choix discutables.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Le bréviaire de Fairing
Publicité
Le bréviaire de Fairing
Archives
Me suivre sur Twitter
Visiteurs
Depuis la création 47 572
Publicité