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Le bréviaire de Fairing
4 mars 2015

La NSA, Chomsky et le prétexte du terrorisme

 

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Coups de canif sur le totem technologique

Malgré les révélations de Snowden, il faut continuer paradoxalement à soutenir que, d’un certain point de vue, il y a aujourd’hui une propension à surestimer la puissance de la technologie. On ne prête qu’aux riches, et sans doute l’accélération constante des progrès techniques constitue-t-elle un point d’éblouissement qui entretient une forme de mirage. De la capacité militaire à mener des guerres prétendument propres à l’idée que les outils informatiques permettraient de garantir notre sécurité, la liste est longue des désillusions qui nous attendent dès lors qu’on adhère aux discours officiels ou à l’opinion commune selon laquelle la science serait toute-puissante. D’ailleurs, cette croyance sert les intérêts et la propagande même des différents acteurs dans ce domaine, et aucun démenti ne viendra jamais de ces instances, dont les hiérarchies sont d’ailleurs souvent elles-mêmes convaincues du bien-fondé de cette confiance. Que l’on apprenne avec étonnement en janvier 2008 qu’une banque puisse engager cinquante milliards d’euros sans s’en apercevoir, d’aucuns l’imputeront à un mensonge ressortissant d’un complot interne à la société générale. De la même manière que les capacités de la science sont souvent surévaluées, les théories du complot ont cela de gênant qu’elles prêtent souvent beaucoup plus d’intelligence, de rigueur et de savoir-faire que les collectifs n’en sont capables (évidemment, cela ne signifie pas pour autant que les complots n’existent pas). Pourtant, tous les responsables de la sécurité savent très bien que la réalité dans les entreprises est terriblement prosaïque, que la valeur des procédures mises en place dépend fortement du facteur humain, et qu’il est tout aussi probable que ce genre d’affaires tienne au laxisme et à l’incompétence de la hiérarchie de Jérôme Kerviel. Evidemment, il est difficile pour une entreprise, a fortiori pour une banque, ou pour un service public d’avouer ses manquements en matière de sécurité.

Chomsky : "ce n'est pas fait pour lutter contre le terrorisme"

Dans un tout autre domaine, les frères Kouachi n’ont pas été repérés par d’extraordinaires moyens technologiques, mais ont pu être suivis grâce aux divers témoignages des personnes qu’ils ont croisées. Pendant ce temps, Coulibaly raccroche mal un téléphone et prend le temps de télécharger sa vidéo. La traque de Ben Laden a été l’objet de bien de perplexités parce que beaucoup ne voulaient pas croire qu’une puissance telle que les Etats-Unis puisse être mise en échec sur une aussi longue période et qu’elle ait été incapable de situer de manière précise un individu sur la planète.  Les questionnements et les débats d’experts qui suivent chaque attentat sur la facilité de circulation de meurtriers, sur les défaillances dans le suivi des individus repérés, sur l’impuissance des moyens modernes à neutraliser les menaces font partie du rituel et semblent destinés à faire croire que l’événement n’a pu se produire au mieux qu’à cause du très grand professionnalisme et de l’hyper-préparation des criminels, au pire à cause de ratés individuels dans la justice ou chez les forces de l’ordre. Il s’agit dans tous les cas d’éviter d’interroger une vulnérabilité par essence, et de maintenir la confiance générale du public en ses institutions. C’est sans doute inconsciemment le besoin de se rassurer et de rassurer qui animent les intervenants. On peut aussi comprendre que cette croyance soit très répandue chez les non-initiés, quand par exemple la publicité ne cesse de nous présenter des produits magiques, réputés sans défaut, mais elle n’épargne pas non plus les spécialistes. Pourtant, tous les développeurs ou les ingénieurs informatiques connaissent les limites de leur science, la fragilité et les failles de leurs créations, la difficulté d’exploiter les données, mais refusent d’en tirer toutes les conséquences intellectuelles. Persuadés qu’à un niveau supérieur les choses sont mieux maîtrisées, leur propre expérience n’entame jamais la foi quasi-religieuse qu’ils ont en la technologie. Il est bon par conséquent de rappeler que la surveillance généralisée pratiquée par la NSA, aussi efficace soit-elle, ne permettra jamais d’empêcher les actes de terrorisme. Elle n’est d’ailleurs pas faite pour ça, comme l’indique Noam Chomsky dans l’entretien publié hier sur DemocracyNow:

« On peut poser cette question [du terrorisme], mais c’est juste théorique, parce que [ces surveillances de masse] n’empêchent pas le terrorisme. Rappelons que quand les révélations de Snowden sont sorties, la réaction immédiate du gouvernement au plus haut niveau – Keith Alexander [Note : général de l’Armée américaine et directeur de la NSA de 2005 à 2014] et d’autres – a été que ces programmes de la NSA avait permis d’arrêter, je crois qu’ils disaient, à peu près 54 actes de terreur. Progressivement, quand la presse a commencé à poser des questions, cela a été réduit autour d’une douzaine. Finalement, c’est tombé à un. Et cet acte de terreur, c’était un homme qui avait envoyé, je crois, 8 500 $ en Somalie. Voilà tout le rendement de ce programme massif. […] Et ce n’est pas fait pour stopper le terrorisme. C’est fait pour contrôler la population. C’est très différent. L’on doit être très prudent en acceptant les déclarations par les systèmes de pouvoir. Ils n’ont aucune raison de vous dire la vérité. Et vous devez regarder et vous demander : « Alors, quelle est la vérité ? ». Et ce système n’est pas un système pour se protéger du terrorisme. » Noam Chomsky (1)

Les gouvernants contre les gouvernés

Certes, ces programmes permettent après coup de retrouver rapidement et aisément toutes les traces laissées par un individu, servent à alourdir des dossiers d’accusation, à repérer d’éventuels complices, et sans doute aussi parfois, à mettre hors circuit des personnalités gênantes pour le pouvoir, comme l’a expliqué Snowden lui-même à ceux qui estiment qu’ils n’ont rien à cacher :

« Parce que même si vous ne faites rien de mal, vous êtes observé et enregistré. Et les capacités de stockage de ces systèmes augmentent considérablement chaque année par des facteurs tels que cela en arrive au point que vous n’avez pas besoin d’avoir fait quelque chose de mal, le simple fait d’être suspecté par quelqu’un suffit, même à cause d’un appel erroné. Et ensuite ils peuvent utiliser le système pour remonter dans le temps et examiner chaque décision que vous avez prise. Chaque ami avec lequel vous avez discuté. Et vous attaquer sur cette base, jeter le doute sur une vie innocente, et repeindre n’importe qui en malfaiteur. » Edward Snowden (2)

 

(1) Traduction personnelle - Source : http://www.democracynow.org/2015/3/3/chomsky_on_snowden_why_nsa_surveillance

(2) Traduction personnelle - Source : http://www.democracynow.org/2013/6/10/youre_being_watched_edward_snowden_emerges

 

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