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Le bréviaire de Fairing
9 avril 2013

Francesca Woodman (1958-1981) – Untitled, Boulder, Colorado 1976

Francesca Woodman - Untitled, Boulder, Colorado 1976Francesca Woodman: Untitled, Boulder, Colorado 1976

Francesca Woodman a 17 ans quand elle réalise cette remarquable composition en noir et blanc. L'image est divisée en trois plans : la rivière au premier plan, l'arbre au milieu, et le cimetière au fond. L'une des premières lectures qui vienne à l'esprit est la suivante : le personnage de Francesca évolue entre les deux premiers plans et semble se débattre vainement alors qu'elle est comme happée par les racines mises à nu par l'érosion de la berge. Ce sont autant de doigts ou de bras contre lesquels elle doit se défendre. Francesca se trouve entre la vie, que symboliserait l'eau de la rivière, et la mort, représentée par les quelques croix et autres pierres tombales. Elle est sur le fil, en équilibre, sur le point d'être absorbée, engloutie à tout moment. A cet instant précis, la lutte n'est pas encore achevée, rien n'est encore joué, rien n'est encore gagné ni perdu. L'espoir est encore possible, le désespoir guette de même. Rien n'exprime mieux cette tension que ce bras droit en équerre, ce coude en plein effort. L'arbre semble envahir et grignoter peu à peu l'image, la structurant aussi bien verticalement qu'horizontalement. Seule la partie inférieure, l'élément liquide, s'en échappe.

Il n'est certes pas nécessaire de solliciter une grille d'interprétation psychanalytique, toujours sujette à caution, pour ressentir la charge, sinon érotique, du moins sexuelle, contenue dans cette mise en scène. La nudité du corps et la forme évocatrice des excroissances racinaires auxquelles la jeune fille s'agrippe ou qu'elle repousse, ce tronc turgescent sont des caractéristiques suffisamment suggestives. La blancheur du corps à demi-émergé que prolongent les cheveux longs et blonds, ce teint pâle de sirène au sein nu, l'étrange distribution de la lumière, avec cette trouée de clair de lune derrière l'arbre et qui en auréole le tronc, tandis que brillent les reflets crépusculaires déformés par l'onde, ne sont pas sans évoquer l'Ophélia d'Hamlet (« There is a willow grows aslant a brook, That shows his hoar leaves in the glassy stream »).

Ainsi, tout nous incite à voir dans ce cliché une noyade, un effacement, un naufrage. Et si cette image fascinante nous disait tout le contraire ? Et si le destin tragique de Francesca, son suicide à 22 ans, orientait notre regard dans le mauvais sens ? Son personnage ne serait-il pas en train, au contraire, de gagner la bataille, en s'extirpant de l'arbre, en émergeant de la terre pour rejoindre le flux de la vie ? Le sens du courant, qu'on devine grâce au flottement de sa chevelure, peut nous aider à renverser nos premières intuitions. L'image devient alors naissance, voire même renaissance, résurrection, de la nuit du cimetière vers le jour de la rivière, de l'ombre vers la lumière. C'est un Lazare féminin, qui s'extrait du tombeau, et se métamorphose en Vénus sortie des eaux. Dès lors, l'image ne doit plus se lire du bas vers le haut : la chronologie s'inverse, du supérieur à l'inférieur, de l'arrière-plan vers l'avant-plan. Francesca n'est pas encore délivrée, mais elle est sur le point de l'être et la vie, peut-être le bonheur, est à portée de main.

Post Scriptum : Certains voient dans cette image un écho au mythe de Daphné, cette nymphe métamorphosée en laurier alors qu'elle est sur le point d'être rattrapée par Apollon. Il est possible également que la jeune artiste ait joué avec son propre patronyme, Woodman, et s'amuse de l'auto-référence qui la constituerait en « femme-arbre ». Et il est vrai que nombre de ses clichés témoigne d'un rapport particulier au végétal, et notamment à l'arbre. Voici un exemple parmi les plus frappants :

Francesca Woodman - Untitled, 1980

Francesca Woodman: Untitled, 1980

 

 

 

 

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