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Le bréviaire de Fairing
29 décembre 2012

Adrienne Rich (1929-2012) - What Kind of Times Are These

Tombée aujourd'hui par hasard sur le nom d'Adrienne Rich, poétesse, essayiste et féministe américaine, morte à l'âge de 82 ans, en mars 2012.

Adrienne Rich - 1951

On peut lire en anglais l'un de ses poèmes parmi les plus connus sur le site suivant : http://www.poetryfoundation.org/poem/181516. Essayons de traduire :

En quels temps vivons-nous...

Il existe un endroit entre deux rangées d'arbres où l'herbe pousse en pente
et la vieille route révolutionnaire s'interrompt parmi les ombres
près d'une salle de réunion abandonnée par les persécutés
qui ont disparu parmi ces ombres.

J'ai marché là ramassant des champignons au bord de l'effroi, mais ne faites pas erreur,
ce n'est pas un poème russe, ce n'est pas ailleurs mais ici même,
notre pays se rapprochant de sa propre vérité et de son effroi,
ses propres façons de faire disparaître les gens.

Je ne vous dirai pas où est cet endroit, le réseau sombre de ces bois
rejoignant la bande immaculée de lumière -
carrefours traversés de fantômes, paradis de feuilles en décomposition :
Je sais déjà qui veut l'acheter, le vendre, le faire disparaître.

Et je ne vous dirai pas où il est, alors pourquoi vous dire
quelque chose ? Parce que vous écoutez toujours, parce que dans des temps comme ceux-ci,
pour vous avoir tout entier à l'écoute, il est nécessaire
de parler d'arbres.

Le titre est une référence à un vers extrait d'un poème que Bertold Brecht a écrit dans la période qui précède la guerre et intitulé «An die Nachgeborenen » (« A ceux nés plus tard »). Il s'adresse aux nouvelles générations en évoquant les temps sombres dans lequel il vit. Voici le passage d'où est tiré le titre qui nous occupe :

« Was sind das für Zeiten, wo
Ein Gespräch über Bäume fast ein Verbrechen ist
Weil es ein Schweigen über so viele Untaten einschließt! »

et en voici la traduction trouvée sur http://schabrieres.wordpress.com/2009/07/05/bertolt-brecht-a-ceux-qui-viendront-apres-nous-an-die-nachgeborenen-1939 :

« Que sont donc ces temps, où
Parler des arbres est presque un crime
Puisque c’est faire silence sur tant de forfaits ! »

La lecture successive des deux poèmes est saisissante. Je découvre Adrienne Rich et son poème, et donc je ne suis pas très sûre de mon interprétation, d'autant plus que ce n'est pas celle qu'en font certains articles que j'ai glanés sur le net. Peu importe si je me trompe, l'important est de chercher. Mon sentiment est que, dans ce poème, se joue une critique acerbe de l'époque et de ce que nous sommes devenus. Je m'explique. Chez Brecht, il me semble qu'on peut lire en creux qu'il pourrait parler des arbres en d'autres temps, et cela illustre la noirceur de l'époque qu'il traverse. La catastrophe est là, elle grandit chaque jour, et parler d'autre chose serait indécent. Chez Rich, le renversement est total : à l'obligation de parler de la catastrophe, a succédé l'obligation de parler d'arbres (de parler d'autre chose) pour espérer se faire entendre et mobiliser. La possibilité même de l'alternative, la liberté du poète, a disparu. Le public, dans un monde tel que le nôtre, fait de spectacles et de valeur marchande, doit être appâté en quelque sorte, pour qu'on puisse espérer qu'il passe de l'attention à l'action. La seule chance du poème de se transformer en acte politique est de plaire au lecteur, afin que celui-ci en déniche une signification plus profonde. La route révolutionnaire s'est interrompue, le lieu des réunions politiques est déserté, et c'est en cela que notre époque est aussi sombre. Néanmoins, pour le poète, ce n'est pas une raison pour abandonner et on peut lire ces quelques vers comme un manuel de lutte en nos temps troublés.

 

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